Libération – Le curé honni par les liens du mariage

 

Article de Bernadette Sauvaget paru dans Libération le 27 juillet 2017

 

Le curé honni par les liens du mariage

 

Prêtre atypique, célébrité lyonnaise et proche du cardinal Barbarin, le père David Gréa a provoqué, en avril, une tempête dans le bénitier… en décidant de convoler. Passé le scandale, l’omerta pèse désormais sur l’affaire.

 

C’est non. Par un petit mail poli, laconique, David Gréa a décidé de se taire «pour ne pas nourrir la polémique», nous écrit-il. Remonter jusqu’à l’ex-curé vedette de Lyon, marié civilement depuis le 15 avril, n’a déjà pas été une sinécure. «Il a disparu des radars lyonnais», avait prévenu, par SMS, Christian Delorme, une autre star du clergé des berges de la Saône et du Rhône. Un brin gênés, d’autres confrères ont indiqué, eux, avoir perdu le contact, ou ont suggéré charitablement de passer par les réseaux sociaux. «Nous ne souhaitons pas nous exprimer sur le départ de David», ont déclaré, par SMS également, les membres de Glorious, groupe de «pop louange» catholique, proches du curé démissionné il y a quelque mois par le cardinal Philippe Barbarin. Après avoir fait grand bruit, l’affaire Gréa s’est vue recouverte d’un épais et pieux silence, d’une pudique omerta.

En soi, l’histoire paraît banale. David Gréa, 46 ans au compteur, n’est ni le premier ni le dernier curé à se faire la belle pour une femme – ou un homme, cela arrive aussi. Des prêtres amoureux, il y en a. Et beaucoup. Chaque année, environ 600 curés – c’est le Vatican qui le dit – quittent volontairement les ordres, souvent pour convoler. Gréa, un cas parmi des centaines d’autres ? Justement pas. Parce qu’à Lyon, ce n’était pas n’importe qui. Depuis une dizaine d’années, le prêtre, issu d’un milieu ouvrier, était devenu une figure emblématique – qui pouvait aussi agacer -, trouvant les bonnes recettes pour attirer le chaland dans son église. A Lyon, sa réussite en avait fait l’un des chouchous du «cardinal», comme on dit là-bas, avec révérence, quand on parle de Barbarin. «C’était un homme de projets. Et Barbarin aime cela», raconte Nicolas Ballet, le spécialiste des affaires religieuses au quotidien le Progrès. Plutôt belle gueule et doté d’une vraie carrure intellectuelle avec une thèse en théologie à son actif, David Gréa a incarné jusqu’à son sentimental départ une nouvelle génération de curés. Classique sur le fond (et fiable, donc, du point de vue de la doctrine), allure moderne dans la forme. Et des atouts pour «déringardiser» le catholicisme, quitte parfois à frôler le loufoque, et le mauvais goût. Ainsi, en décembre 2015, à l’occasion de la sortie du dernier opus de l’épopée Star Wars, on le découvrait en curé Jedi sur son compte Twitter, habillé d’une stricte chemise noire cléricale à col romain, brandissant un sabre laser et paraphrasant Dark Vador et son célèbre : «Je suis ton père».

 

Religion spectacle

Pour David Gréa, jusque-là, tout allait bien dans le (presque) meilleur des mondes. Nommé en 2006 à la paroisse Sainte-Blandine, il remplit son église à coups de messes-concerts données par le groupe Glorious, très prisé par les jeunes générations. Cela agace un peu, ici ou là, surtout dans les rangs de la gauche catho, peu branchée sur la religion-spectacle. «David Gréa, c’est un intellectuel. Ce genre de messe, c’était une expérience nouvelle pour lui», analyse Nicolas Ballet. Pour réussir son marketing religieux, le prêtre s’est inspiré des protestants évangéliques, champions des nouvelles méthodes (parfois agressives) d’évangélisation. «Il est allé en vacances dans la « megachurch » (1) de Rick Warren, à Lake Forest en Californie», raconte l’un de ses proches, personnalité influente des milieux évangéliques lyonnais, expliquant là où Gréa avait puisé ses méthodes. Auteur de best-sellers, mêlant Bible et développement personnel, ce pasteur américain est une star dans son pays, choisi par Barack Obama en 2009 pour prononcer la prière lors de son investiture. David Gréa rêvait-il d’une «megachurch» catholique sur les bords du Rhône ? Peut-être…

Au cœur de Lyon, le quartier de Sainte-Blandine – ancienne friche industrielle, populaire et mal famée -, est en pleine évolution, devient plus bourgeois, branché et bobo. «A l’église, l’auditoire était très varié : ce qui est assez rare ici dans les paroisses», rapporte Nicolas Ballet. Le curé Gréa a le vent en poupe. Son succès regonfle le moral d’une Eglise catholique anémiée et paniquée devant l’exode de ses troupes. Son dernier coup d’éclat, c’est une messe de Noël à la sauce «Holiday on Ice», qui commence avec un chocolat chaud et un spectacle de patinage, organisée à la patinoire Charlemagne en décembre 2016.

Mais bientôt, la rumeur jusque-là limitée à quelques cercles commence à courir : Gréa va partir, Gréa va se marier. Autour de Barbarin, déjà très malmené par les affaires de pédophilie qui ont secoué Lyon, c’est un peu la panique. A Sainte-Blandine, les fidèles ne se doutent de rien. Quand un curé s’en va par amour, c’est discrètement, gêné, presque honteux, mais Gréa n’est pas de ce bois-là. «Il n’en a jamais fait qu’à sa tête»,lâche, agacé, un collègue. Le 19 février, patatras : Patrick Rollin, l’un des lieutenants de Barbarin, vient lire sa lettre d’adieu devant des paroissiens médusés. Certains fondent en larmes. «Il y a quelque temps, j’ai commencé à construire une relation avec une femme avec laquelle je pense que Dieu m’appelle à vivre. Je découvre une joie insoupçonnée qui me semble dans la continuité de ce que j’ai vécu en me donnant corps et âme à votre service», y confie David Gréa. Le curé de Sainte-Blandine, par décence sans doute, n’est pas de la cérémonie. Le ton de la missive est gentiment prêchi-prêcha. Mais, sur le fond, le prêtre ne lâche rien. Pour lui, sa vocation n’est pas incompatible avec le fait de se marier, une conception en flagrante contradiction avec celle de l’Eglise catholique. La bombe vient d’exploser. Ici et là, on ressort avec délectation la photo «starwarisée» du curé amoureux et son sabre laser en guise de goupillon. «David a été surpris de l’impact national qu’a eu l’annonce de son départ», confie l’un de ses proches.

 

Halo de mystère

A Lyon, l’affaire a du mal à passer. Les paroissiens sont divisés. Les uns le soutiennent mais les autres crient à la trahison. L’archevêché publie son propre communiqué : «Le père David Gréa a fait part au cardinal Barbarin de ses questions liées au célibat sacerdotal et de sa décision de s’engager dans la vie conjugale. Après l’avoir écouté, l’évêque de Lyon a demandé au père Gréa de prendre un temps de discernement et de recul, accompagné par le diocèse, et de quitter sa charge de curé.» Les autorités de l’Eglise temporisent, et sans doute espèrent-elles qu’il revienne sur sa décision. La mise en scène, en tous les cas, déplaît. «Pourquoi n’a-t-il pas juste dit qu’il s’était trompé ?» s’agace un prêtre. Privilège du chouchou ? Barbarin a organisé, à Rome, un rendez-vous avec le pape François pour que tous les trois examinent ensemble l’affaire. C’est David Gréa lui-même, non sans fierté, qui livre l’information dans sa lettre d’adieu, pointant, au passage, la «bienveillance» du pape. C’est la goutte d’eau qui fait déborder le bénitier. En privé, les prêtres lyonnais fulminent. «Faut-il que je me marie pour obtenir un rendez-vous chez le pape ?» s’irrite l’un d’eux.

Un halo de mystère plane sur la rencontre romaine. On ne sait pas à quel moment elle a eu lieu. On ne connaît pas non plus les intentions réelles des trois participants. Et chacun y va de son interprétation. Barbarin voulait-il que le pape l’aide à ramener le curé amoureux sur le droit chemin ? David Gréa souhaitait-il, lui, convaincre le pape de faire une exception à son obligation de célibat ? Rien ne filtre. Mais une photo circule, où il pose en compagnie de François : une porte ouverte, là aussi, à toutes les interprétations. «C’est vrai qu’il y a beaucoup de ressentiment à l’égard de David. Parce que c’est la chute d’un leader»,convient l’un de ses amis. Que Gréa l’ait voulu ou non, sa love affairranime le débat sur le mariage des prêtres.

 

«Olibrius»

Le 3 avril, l’extrême droite catholique entre en scène. Le site Riposte catholique vient mettre son grain de sel et révèle la date du mariage : «L’ex-curé lyonnais va se marier le 15 avril prochain. Ce sera Samedi saint. Plus rien ne doit nous étonner venant de cet olibrius. […] La discrétion n’a jamais été son fort.» Pour les catholiques, le choix de la date choque. Traditionnellement, aucune cérémonie religieuse n’a lieu ce jour-là, lendemain de la commémoration de la mort du Christ. Gréa franchit définitivement le Rubicon. Interrogé par le Progrès sur sa «provocation», il répond par SMS mais reste vague, invoquant «diverses contraintes». Floué, Barbarin est furieux, regrette que le prêtre n’ait pas respecté le délai de réflexion, annonce officiellement sa suspension. Cela ne contrarie pas le projet. Le mariage a bien lieu, le 15 avril, dans le sud-ouest de la France, à des centaines de kilomètres de Lyon.

Depuis peu, le couple a déménagé en région parisienne, loin des turbulences. Protestante évangélique, Magali, l’épouse qui a «toujours voulu des enfants», selon l’un de ses proches, a trouvé un nouveau travail. Dans l’humanitaire, comme à Lyon. David Gréa, lui, a fermé puis rouvert sa page Facebook. Le 19 mars, il a changé sa photo de profil, affichant désormais un «All you need is love». Fini le sabre laser, pour sa bannière, il a choisi le sphinx de Gizeh. Un sphinx très bavard : privé de paroisse, l’ex-curé prêche à tout-va aux quatre coins de Facebook. Ses mails, il les signe encore d’un «P. David Gréa». «P» comme «père», la manière dont les catholiques appellent leurs prêtres. L’habitude, sans doute.

 

(1) Eglise indépendante rassemblant des milliers de fidèles, proposant de nombreux services : soutien scolaire, aide sociale, etc.

Retrouvez l’article sur le site de Libération ici :

http://www.liberation.fr/france/2017/07/27/le-cure-honni-par-les-liens-du-mariage_1586651

A propos de l'auteur: D. Grea