Pourquoi Hillsong bouscule les catholiques français
Un article de Linda Caille publié dans La Vie du 28/02/18
Créée en 1983 à Sydney en Australie, la megachurch évangélique Hillsong souffle cette année ses 35 bougies. L’occasion de s’interroger sur l’influence qu’elle exerce sur certains catholiques français et leur manière de concevoir une paroisse.
En ce dimanche matin, le théâtre Bobino, d’une capacité de 900 places, est quasiment plein. La salle est plongée dans le noir, et les yeux rivés sur la scène où évoluent six chanteurs, une chorale et une flopée de musiciens. Les consonances indie-pop-électro accompagnent les paroles des chants de louange, projetées sur trois écrans géants derrière les musiciens qui évoluent sous les projecteurs au milieu d’un décor scénique agrémenté de néons géométriques. Dans la salle, beaucoup de jeunes adultes. Debout contre les sièges en velours rouge du théâtre, tous se balancent au rythme de la musique, tandis que les plus à l’aise lèvent les mains vers le ciel.
« Salut l’Église ! Vous avez passé une bonne semaine ? J’aime quand on se retrouve le dimanche matin pour louer le Seigneur ! » lance Brendan White en français, de son accent australien chantant. Pasteur de l’Église Hillsong Paris avec sa femme Camille, Brendan White a été envoyé en 2004 par Bobbie et Brian Houston, les pasteurs principaux de l’Église Hillsong, basée à Sydney. Quatorze ans plus tard, ils donnent quatre services par dimanche, et le concept s’est propagé dans d’autres villes de France : Lyon, Marseille, Massy… touchant un public toujours croissant.
Louange contemporaine, communication maîtrisée et régie par une charte graphique dans l’air du temps, accueil chaleureux des fidèles, ambiance familiale, prêches en cohérence avec la vie quotidienne… Camille White, pasteure de Hillsong Paris, résume l’esprit de l’Église en quelques mots : « Nous sommes une petite Église avec beaucoup de personnes ! » De fait, la recette de Hillsong remporte un franc succès dans l’Hexagone, et influence les autres Églises protestantes. Mais aussi des catholiques. Outre sa musique qui ne cesse d’inspirer de jeunes artistes, cette Église est en passe de devenir un véritable modèle d’organisation pour certaines paroisses, à l’image de l’église Sainte-Blandine-Lyon Centre, où œuvre le groupe Glorious.
Une vision locale
« Atteindre et influencer le monde en construisant une large Église centrée sur Christ et fondée sur la Bible, en changeant les mentalités pour que chaque personne puisse avoir un impact dans toutes les sphères de sa vie. » Telle est la « vision » de Hillsong. « Notre but, c’est d’équiper les saints, d’encourager les gens pour qu’ils réalisent qu’ils peuvent avoir un impact dans leur travail, leur famille, leurs loisirs, etc. », explique Camille White. En contact permanent avec le campus principal de Sydney, Hillsong Paris adapte sa vision aux différents individus qu’elle accompagne, et mène divers ministères en fonction des tranches d’âge. D’après la jeune pasteure, cette diversité reflète l’importance pour l’Église d’être au plus près des gens. Le slogan des volontaires de Hillsong est d’ailleurs : « Aimer Dieu, aimer les gens, aimer la vie. »
Pour Linda Caille, journaliste spécialiste des religions et auteure de Les cathos. Enquête au cœur de la première religion de France (Tallandier), cette vision tend à influencer les catholiques, qui prennent peu à peu conscience de la croissance des évangéliques. Le fonctionnement de Hillsong est notamment encensé par Benjamin Pouzin, co-leader du groupe de pop-louange catholique Glorious en charge de la paroisse Sainte-Blandine à Lyon depuis 2010 : « Nous revendiquons une véritable filiation spirituelle avec Hillsong, la rencontre avec cette Église a été un vrai réveil pour nous. » Créé en 2002 par les frères Pouzin, Glorious rencontre Hillsong lorsque l’Église évangélique installe un campus à Lyon en 2008. « La force de Hillsong, c’est qu’ils ont compris que les gens cherchent non pas une religion, mais une relation avec Dieu. Ils font, en somme, ce que l’Église catholique a toujours fait mais qu’elle peine à perpétuer aujourd’hui : s’adapter à la culture et donner l’Évangile dans le monde de ce temps. Ça passe par l’accueil, la musique, le prêche… Le dimanche matin, on est en concurrence avec Téléfoot, il faut faire mieux qu’eux ! »
Benjamin Pouzin souligne la pertinence des prédications d’Hillsong par rapport à la vie quotidienne des fidèles : les finances, la vie de famille, le couple, le leadership… L’Église évangélique donne à ses membres des clés pour vivre son quotidien « selon la culture du Royaume », se plaît à dire Camille White. Un modèle que tend à reproduire la paroisse Sainte-Blandine, qui propose de plus en plus d’activités en semaine : parcours Alpha, accompagnement vers le baptême, maison des familles… « Nous sommes une paroisse locale avant tout, mais en nous dotant d‘outils pour attirer le plus grand nombre le dimanche, » résume le musicien.
Remettre les laïcs au cœur de la décision
Cette influence évangélique se reflète également dans le mode d’organisation. Le modèle de la paroisse lyonnaise se revendique « héritier de Vatican II » : « Les charismes et l’intuition pastorale ne se limitent pas au prêtre et à l’évêque. Laïcs et prêtres sont toujours en dialogue, ça permet à l’Église de rester en phase avec la culture environnante, » argue Benjamin Pouzin.
Une conception de la prise de décision qui semble pourtant aux antipodes du fonctionnement pyramidal de Hillsong, chez qui toutes les décisions sont prises par un conseil d’administration – ou « board » – en dialogue permanent avec les pasteurs principaux à Sydney. Le guitariste de Glorious, institué avec son frère Thomas « ministre de la Parole » en 2015, balaie l’apparente contradiction : « Nous, les cathos, venons d’un système ultra-hiérarchisé, et depuis quelques années, nous avons tendance à relâcher la corde. Le cardinal Barbarin nous a d’ailleurs laissés libres d’essayer de nouvelles choses dans notre paroisse. Hillsong, quant à eux, viennent du monde protestant où la hiérarchie est moins marquée, et ils ont tendance à retendre leur corde. C’est dans cet entre-deux que nous nous rejoignons. »
« Dieu est un Dieu créatif »
La communication reste l’une des grandes forces de l’Église évangélique australienne : codes esthétiques tendance accompagnés d’une musique récemment récompensée par un Grammy Award – équivalent des Victoires de la Musique aux États-Unis. « Hillsong a beaucoup inspiré les évangéliques créatifs qui ont aujourd’hui une trentaine d’années : musiciens, graphistes, communicants, etc. En écoutant la musique d’Hillsong, ils se sont identifiés à ces jeunes croyants qui s’habillaient comme eux, allaient à l’église avec leurs amis, partaient en vacances ensemble… Aujourd’hui, ces mêmes évangéliques créatifs sont devenus des artistes reconnus professionnellement, mais aussi engagés dans leur foi », souligne la journaliste Linda Caille. Et de citer notamment David Bonhomme, évangélique fondateur d’une agence de communication chrétienne, Progressif Média.
Côté catholique, l’influence se retrouve par exemple chez un artiste comme Grégory Turpin, chanteur chrétien, connu notamment pour sa participation au disque « Thérèse, Vivre d’amour » en 2013. Son dernier livre, Petit guide pour une vie transformée (Première Partie) – dans lequel l’artiste catholique propose à ses lecteurs de prendre 40 jours pour « mettre la prière dans son quotidien » – est révélateur d’une influence directe de la communication « made by Evangelicals ». Utilisation du story telling, insistance sur la relation directe à Dieu, charte graphique inspirée de celles de megachurches (églises rassemblant plus de 2000 fidèles) américaines, illustrations rappelant certains albums de Hillsong United, le groupe de louange de Hillsong… Et parmi les exemples de chrétiens engagés dont Grégory Turpin propose le témoignage pour inspirer le lecteur, ne figurent que des laïcs, parmi lesquels… David Bonhomme !
Les catholiques doivent-ils alors voir les évangéliques comme des stimulants, ou des concurrents ? Pour Benjamin Pouzin, la réponse est claire : « Nous considérons nos amis de Hillsong comme des frères aînés, ils sont une bénédiction. Le XXIe siècle sera évangélique ! » Linda Caille évoque quant à elle les balbutiements d’un phénomène de réveil chez les catholiques : « Les catholiques sont bousculés et stimulés par les évangéliques, qui ont l’évangélisation dans leur ADN. Ces chrétiens n’ont aucun complexe, aucune règle, tout est bon pour que leur message de salut progresse. » Le défi catholique reste cependant celui de l’institution : « L’innovation et la prise de décision sont plus faciles pour les évangéliques, qui bénéficient de petites structures, contrairement aux catholiques qui peuvent être bridés par l’institution. »