La Vie – David Gréa, les feux de l’amour
David Gréa, les feux de l’amour
David Gréa a été un prêtre en vue. Depuis un an, il ne l’est plus. L’ancien curé lyonnais a civilement épousé une jeune femme, et ensemble ils ont eu un petit garçon au prénom de pape. Ce bref délai lui semble suffisant pour retrouver les feux de la rampe, poussé par l’impérieux devoir de se justifier. Pour l’occasion, il arbore même ce col romain que, de son propre aveu, il ne portait pas d’ordinaire. C’est l’image, sympathique et rayonnante, qui orne Une nouvelle vie. Prêtre, marié, heureux, autobiographie qui paraît le 18 avril aux Arènes et qu’il a signée « Père David Gréa », comme si de rien n’était.
On entend d’ici les mille ricanements de la foule médiatico-moutonnière sur les forfaits d’une Église archaïque et brutale, incapable de verser sa larme quand passent les feux de l’amour. On pourrait y répondre avec un brin d’ironie. Après tout, si toutes les personnes qui rompent leur engagement écrivaient pour nous expliquer à quel point ils sont les victimes du système, les rayons des supermarchés seraient bien encombrés. Époux volages, curés coquins, politiciens professant, tels Charles Pasqua, que les promesses n’engagent que ceux qui y croient… le filon semble inépuisable.
Peut-on dire que le droit au bonheur serait le critère ultime de l’existence ? Si oui, faut-il changer de vie quand il est menacé ?
On n’a pas envie de se moquer pourtant, car David Gréa est un homme que l’on connaît et que l’on apprécie depuis pas mal de temps. Il est de ceux que nous avons mis en avant à La Vie ces dernières années, admiratifs devant l’audace, la créativité et l’impact de son travail d’évangélisation. À Lyon, en compagnie des chanteurs de Glorious, il a mené un travail remarquable, ramenant à l’Église certains de ceux qui s’en étaient éloignés. Son aventure missionnaire n’a pas beaucoup d’équivalent dans un catholicisme trop recroquevillé sur ses habitudes. Autant dire que son départ nous a troublés. Pour l’Église, il constitue une grande perte. Le 21 février 2017, j’avais donné déjà mon point de vue sur l’affaire. Il n’a pas évolué à la lecture du livre : « Vu l’urgence de l’évangélisation, je crois que je préférerais que David Gréa se marie et reste curé de Lyon-Centre, plutôt que de le savoir perdu pour la mission. Je suis d’ailleurs persuadé que la situation traumatiserait moins les fidèles que le départ d’un prêtre. »
En tous cas, David lui-même n’a pas été troublé. Quand il a rencontré Magalie, une jeune chrétienne de sensibilité protestante, l’amour naissant ne l’a pas tourmenté. Car, nous dit-il, il se sent fait pour le bonheur et non la croix. Au-delà de ces considérations qui relèvent plus du développement personnel que de la théologie, peut-on dire que le droit au bonheur serait le critère ultime de l’existence ? Si oui, faut-il changer de vie quand il est menacé ? « Il y a des saisons dans la vie », fait-il dire à sa jeune épouse. Il suggère ainsi que l’on puisse prendre des engagements de célibat temporaires. C’est une voie que l’Église, en effet, pourrait envisager dans une époque où nos sociétés deviennent liquides. Au moins pour des jeunes qui, par exemple, voudraient vivre quelques années de vie monastique.
Mais que dire alors du mariage que David et Magalie ont contracté ? Serait-il donc temporaire, à son tour ? On craint qu’une solution ne puisse cacher un problème. Peut-on se reprendre alors que l’on s’est donné ? Des fidélités successives sont-elles encore des fidélités, sans parler d’une fidélité devant Dieu ? L’auteur semble vouloir faire sienne la question que je posais à son départ. « Peut-on rompre un engagement ? », s’interroge-t-il à son tour. On pense alors qu’il parle de lui. Mais non. « Dans mon contrat passé avec l’Église, l’une des parties n’a pas honoré l’accord. On m’avait promis une grâce qui ne s’est jamais présentée. »Vous avez bien lu : le sacerdoce est un contrat dans lequel la grâce est garantie sur facture. On se croyait chez Bernanos, on est chez Darty.
Pour lester de polémique un propos simplement désarmant, l’éditeur n’a pas lésiné sur la confusion et l’intox.
Quand même, David Gréa aurait souhaité rester prêtre. L’Église catholique ne pourrait-elle pas changer sa règle pour lui être agréable ? Pourquoi non ? Qui ne demande rien n’a rien. David Gréa en parle au cardinal Barbarin et le cardinal Barbarin en parle au pape. Ce dernier est un peu surpris, mais reçoit deux fois le plaideur. C’est d’ailleurs l’un des points forts du livre. On y voit un François à l’écoute, on à l’impression même que le pape est troublé, il semble qu’il laisse entrevoir à David et Magalie une histoire heureuse. Puis rien. La mesure canonique, sanction du mariage civil, n’en sera que plus douloureuse pour le jeune époux. Ici le livre laisse songeur. Car si ce que l’auteur dit est juste, son mariage rapide, célébré civilement un samedi saint, ne pouvait que rendre impossible une recherche de solution qui demandait du temps. Le plaidoyer revient ici comme un boomerang.
Malgré les faiblesses d’une telle argumentation, la cause que plaide l’auteur mérite d’être prise au sérieux. « L’argument massue de la nécessité du célibat pour garantir exclusivité et disponibilité ne tient plus », estime-t-il. Gréa souligne que des aumôniers mariés officient aujourd’hui à l’hôpital ou en prison avec un dévouement quasi… sacerdotal. Beaucoup d’hommes seraient prêts à s’engager dans le sacerdoce sans la règle du célibat. Et beaucoup de prêtres qui tombent amoureux seraient désireux de continuer à exercer leur ministère pourvu qu’on les relevât de vœux qu’ils ont pris dès leur ordination diaconale. À l’heure où les ouvriers sont peu nombreux pour la moisson, faire comme si ce débat là n’avait pas lieu d’être est impossible. L’existence de deux clergés, l’un de type disons monastique, l’autre de type disons anglican, pourrait devenir un atout dans une Église appelée au réveil missionnaire. Un vrai sujet.
Alors, pourquoi faire d’un livre sincère exposant sans rancune les déchirements d’un homme partagé entre deux amours une sorte de brulot, ce qu’il n’est pas ? Pour lester de polémique un propos simplement désarmant, l’éditeur n’a pas lésiné sur la confusion et l’intox. Le mariage des prêtres serait, nous promet un bandeau rouge, « la révolution du pape François », ce que n’étaye aucun fait, et pas une ligne de l’auteur. Au dos de l’ouvrage, tout est de la même eau. Le célibat des prêtres serait « devenu la règle au XIe siècle », poncif depuis longtemps démonté par les travaux savants de Jean Mercier, rédacteur en chef adjoint à La Vie. « Les prêtres catholiques d’Orient ont toujours le droit de se marier », lit-on encore. Or ils ne l’ont JAMAIS. Si des hommes déjà mariés sont ordonnés prêtres, jamais en Orient un prêtre ayant fait vœu de célibat ne serait autorisé à convoler. L’auteur, nous promet-on encore, « raconte la misère affective et sexuelle que connaissent de nombreux prêtres ». En le lisant, on voit que David Gréa ne mange pas de ce pain moisi, et c’est tout à son honneur. D’ailleurs, son livre n’est pas un ouvrage de démolition, mais de reconstruction personnelle, une auto-thérapie. Enfin et surtout, l’auteur n’a pas été « réduit à l’état laïque contre son gré », il a choisi de se marier civilement. Cet appareil de propagande idéologique n’est pas très respectueux. Ni de l’auteur, ni du lecteur.
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